Hier j’étais au téléphone avec une copine italienne dont une certaine perversité se réjouissait des mesures restrictives appliquées par le gouvernement français qui s’alignent désormais – pas tout à fait, mais on y arrive – sur celles de l’Italie. Non sans une mal décelée jubilation, elle affirmait que le confinement avec lequel nous, les habitants de l’Hexagone, aurions désormais dû composer, était la preuve ultime de l’efficacité de la clairvoyance italienne et du sens d’anticipation du gouvernement de la Grande Botte.
D’ailleurs, elle n’a pas pu cacher sa déception lorsque je lui ai dit que je suis confinée chez moi depuis que j’ai choisi la carrière de traductrice freelance et que le Covid-19 ne change pas beaucoup mon quotidien. A quelques détails près : je dois me priver de mes récréatives courses au marché de la Libération, accompagnées d’une pause-café au Nautic et de la compagnie de ma voisine Claude de 90 ans, une véritable source d’inspiration, un livre d’histoire vivant, que j’évite d’aller voir pour la protéger. Ces petits moments réjouissants d’éloignement de mon écran pour mieux m’en approcher. Certes, cette pandémie aura des répercussions sur mon activité comme sur toutes les activités économiques que, pour le moment, je ne suis pas capable de mesurer.
Quoi qu’il en soit, je suis une experte du confinement. Ce n’est pas toujours le cas, mais souvent, lorsqu’on choisit d’être traducteur, on sait pertinemment qu’il faudra vivre avec sa solitude et cela ne nous dérange pas spécialement. Il ne faut tout de même pas oublier qu’en 2020, il s’agit d’une solitude relative : je suis connectée au monde par la Toile, j’échange avec les confrères sur les réseaux sociaux. Mais rien ne me donne plus plaisir de suivre le cours de mes élucubrations en trouvant le mot juste dans un accord de ma guitare, dans la portion de ciel sous lequel je bois des tasses de thé vert à la chaîne, dans le poil soyeux de mon chat qui vient parfois me gratifier avec son ronronnement rassurant. Des choses que je ne pourrais jamais faire si je partageais un bureau avec d’autres personnes, dans un cube en béton comme celui où j’ai évolué lors de ma dernière expérience salariée
La vie du traducteur est solitaire, mais elle n’est pas ennuyeuse ; elle est silencieuse mais incroyablement habitée. Elle est pleine de mots qui vivent de vie propre, des mots qu’il faut saisir et transporter dans un monde parallèle. Dans les 2 m² découpés dans mon appartement et consacrés à mon travail, je vois s’afficher un paysage toujours différent où je suis les portes et les ponts. Quand je traduis, la « cible », je la vois. Elle est assise à côté de moi, comme l’amie imaginaire de mes 5 ans. Je lui parle, je lui demande comment je peux faire au mieux pour qu’elle ressente ce que je ressens. Comme une spéléologue, je creuse dans les profondeurs de l’auteur et j’en déterre les racines de son message, les nuances de ses mots. Et puis, selon les cas, je les dépoussière, je les façonne, je les décrypte et je les confie au pigeon voyageur qui les amènera loin.
Aussi, en tant que traductrice-spécialiste-en-confinement, je peux vous assurer que ce n’est pas si mal que cela de rester chez soi. Il y a du rêve, des mots, des livres, de la musique, des projets, de l’espoir, des verres de rouge… Et qui sait, peut-être que le confinement vous donnera des inspirations pour réajuster votre vie. Peut-être que, comme Bernard-Henri Lévy, vous trouverez dans la mondialisation de ce virus « la traduction des passions tristes qui agitent nos démocraties fatiguées, relativistes et paranoïaques ». Peut-être que vous ferez le tri dans vos vies et vous découvrirez il y a des choses inutiles dont vous pouvez facilement vous débarrasser.
Quoi qu’il en soit, je vous souhaite de vous perdre pour vous retrouver. Et de garder la santé. Prenez soin de vous.
Patricia Soda est traductrice depuis 2001. Spécialisée en traduction pour le marketing, elle est également copywriter. Indépendante depuis 2015, elle traduit de l’anglais et du français vers l’italien et partage dans ce blog ses joies et ses larmes avec ses confrères et tous les passionnés de langues